Richard Lindzen (climatologue au m.I.T.)

Richard Lindzen, un scientifique galonné mais controversé (18/04/2007)
[ 18/04/07  - 03H30 ]

S'il est respecté, l'homme provoque beaucoup d'agacement avec ses prises de position sur le climat. Certains voudraient même que soient refusées des subventions pour ses recherches. 

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À BOSTON.
De tous les sceptiques du réchauffement climatique et de ses conséquences, Richard Lindzen est un de ceux qui jouissent du plus de crédibilité. Il faut dire qu'il s'exprime du haut de la chaire Alfred Sloane du Massachusetts Institute of Technology (MIT), une des plus grandes facultés américaines, et que beaucoup de scientifiques, y compris ceux qui sont très inquiets des conséquences du réchauffement climatique, respectent certains de ses travaux. Cela ne veut pas dire qu'il ne provoque pas beaucoup d'agacement dans la communauté scientifique. " Il énonce des contre-vérités ", estime ainsi Kevin Trenberth, responsable du département d'analyse du climat au Center for Atmospheric Research (NCAR), dans le Colorado, et un des experts les plus reconnus aux Etats-Unis sur la question. Les deux hommes se connaissent pour avoir travaillé ensemble dans le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
D'apparence décontractée - il reçoit chez lui en chaussettes -, mais exprimant ses convictions avec fermeté, Richard Lindzen assure n'avoir aucun lien avec l'administration Bush, qui s'est souvent servie des sceptiques pour défendre sa position, notamment sur la non-participation des Etats-Unis au protocole de Kyoto. " J'ai seulement participé avec d'autres scientifiques à un des séminaires que le gouvernement américain a organisés il y a quelques années pour se renseigner sur les questions de climat ", explique-t-il. Il se sent clairement républicain aujourd'hui, mais il a commencé à exprimer son scepticisme alors qu'il était encore démocrate. " On me disait qu'en tant que démocrate je ne devais pas penser comme ça ", précise-t-il. Richard Lindzen assure par ailleurs n'avoir pas d'actions de sociétés pouvant avoir intérêt à ce que le rôle du réchauffement climatique soit minimisé. " Aucune d'entre elles ne finance mes recherches ", poursuit-il. Ceux qui lui reprochent ses prises de position sur le climat voient cependant en lui un homme prenant plaisir à penser différemment, quitte à tordre le cou à la vérité. " Il fume comme un pompier, note Kevin Trenberth. Visiblement sur les questions de santé, il ne pense pas comme moi. " Certains voudraient que lui soient refusées certaines subventions pour ses recherches.

" Quelque-chose de fou "

En fait, les réactions à sa personnalité reflètent l'agressivité du débat aux Etats-Unis entre les sceptiques et les inquiets sur les conséquences du réchauffement climatique. Les premiers, qui s'estiment beaucoup plus nombreux que ce que les médias veulent bien dire, dénoncent l'alarmisme des seconds. " Je pense qu'au moins, aux Etats-Unis, les gens sont devenus beaucoup plus sceptiques après le film d'Al Gore, note Richard Lindzen. Il va si loin que tout le monde a compris qu'il y a quelque chose de fou. " Ils craignent des mesures contre le réchauffement prises dans la panique.

Prendre des mesures

De leur côté, les inquiets, beaucoup plus nombreux, estiment qu'il est grand temps de cesser de nier les faits. Les arguments des sceptiques sont faux et ces derniers le savent parfaitement, estimait ainsi récemment Galvin Schmidt, du Nasa Goddard Institute for Space Studies, au cours d'un débat sur la radio publique américaine NPR (1) auquel participait Richard Lindzen. Pour les scientifiques de ce camp, l'expérience montre qu'il y a peu de Galilée ou d'Einstein ayant raison seuls contre tous, et la prudence commande de prendre des mesures avant qu'il ne soit trop tard. " Il faut désormais débattre de ce qu'il faut faire, explique Kevin Trenberth. D'autant que les solutions ne paralysent pas forcément l'économie. "

N. M.



Effet de serre : la voix d'un sceptique (18/04/2007)
[ 18/04/07  - 03H30 ]

Le chercheur américain du MIT de Boston spécialiste du climat et iconoclaste patenté conteste les résultats et les prévisions annoncés récemment par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). 

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À BOSTON.

Pourquoi n'admettez-vous pas que l'activité humaine ait un effet dangereux sur le climat ?

Il faut mettre les choses en perspective. Selon la théorie, les modèles et les observations, les gaz à effet de serre produits par l'homme ne contribuent qu'à un tiers de la hausse de la température à la surface de la Terre. Comment les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) peuvent-ils conclure que le gros du réchauffement observé depuis cinquante ans est dû aux gaz à effet de serre des activités humaines ? Il faut aller voir dans le document, et la réponse est qu'ils ne voyaient pas ce que cela pouvait être d'autre. Ce n'est pas scientifique. Si donc l'effet de serre ne contribue qu'à un tiers du réchauffement et si la température augmente de 0,13 degré par décennie comme on l'observe, nous pourrions être responsables d'une hausse de 0,4 degré en 2100. Qui peut croire que c'est un désastre ?

Le GIEC donne une fourchette de réchauffement de 1,5 degré à 4,5 degrés d'ici à 2100...

Une hausse de 4,5 degrés est virtuellement impossible. Cela voudrait dire que la vitesse de réchauffement est 10 fois plus rapide qu'aujourd'hui, alors que l'impact du CO2 par unité supplémentaire dans l'atmosphère décroît. Nous sommes déjà aux trois quarts de ce doublement de l'effet de serre dont on nous prédit qu'il aurait des conséquences catastrophiques. Or, nous n'avons observé qu'une hausse de quelques dixièmes de degré. Pourquoi ? Le GIEC avance quelques raisons, mais elles ne sont pas très convaincantes. Une d'entre elles est que les aérosols ont jusqu'à maintenant annulé une partie de l'effet de serre. L'autre est que cela prend du temps pour que la mer se réchauffe. Mais sait-on quoi que ce soit sur les aérosols ? Non. Le résumé du rapport du GIEC de février était assez honnête sur le sujet. Quant aux retards de réchauffement des océans, ils sont également exagérés dans nos modèles.

Vous avez l'air de penser que la science du climat est très imparfaite. Or les scientifiques du GIEC estiment que toutes leurs prévisions se sont confirmées.

Nous avons des connaissances, mais la science du climat est immature. Il y a encore vingt ou trente ans, personne ne voulait être climatologue. La vérité est que le climat change en permanence, sans que l'homme n'en soit la cause ni ne comprenne pourquoi. La Terre a connu de nombreux phénomènes : l'âge des glaces, la période interglaciaire dans laquelle nous sommes, le réchauffement au Moyen Age, le petit âge des glaces, etc. Nous n'avons aucune explication convaincante pour aucun d'entre eux et aucun de nos modèles ne peut les répliquer. Quand vous avez travaillé sur le sujet pendant quarante ans et que, tout d'un coup, un tableau se dessine qui ne ressemble en rien à ce que vous voyez, c'est blessant...

Tout de même, il y a des éléments incontestables dans le rapport de février du GIEC : le niveau des océans a crû de 3,3 millimètres par an entre 1993 et 2006, les glaciers de l'Arctique ont fondu de 11 % depuis 1978, les extrêmes climatiques sont de plus en plus nombreux et 11 des dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées...

Rien de cela n'est correctement mesuré et ces éléments fluctuent. Dire que 11 des dernières années ont été les plus chaudes ne signifie pas qu'il y ait une tendance. Si c'était le cas, chaque année serait la plus chaude jamais enregistrée. En fait, l'année la plus chaude a été 1998 et, depuis, les températures ont baissé. Quant au niveau de la mer, cela n'a pas de sens de prendre une période si courte que 1993-2006. Les niveaux des océans ont monté en moyenne d'environ 2 millimètres par an, avec des fluctuations, au cours des 200 dernières années. Et c'est probablement ce qui s'est produit depuis la fin du dernier âge des glaces. Par ailleurs, comment mesurions-nous le niveau des océans avant les satellites ? Avec des repères en fonction des marées, c'est-à-dire des bâtons qui permettent de comparer le niveau de la terre et celui de la mer. Mais les deux niveaux changent. Et beaucoup de fluctuations étaient dues à la Terre en raison de la tectonique, de la charge des constructions... Enfin, s'agissant de la fonte des glaciers, quelle est la valeur de cette donnée sans contexte ? Nous ne savons pas combien de glace il y avait dans l'Arctique l'été pendant les années 1930. Il faisait plus chaud à l'époque. Les mesures sous-marines des icebergs peuvent en outre être biaisées. C'est difficile à mesurer. Même les mesures des surfaces émergées sont récentes. Est-ce que vous pouvez expliquer pourquoi les glaciers avançaient du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle. Si on avait une réponse, cela aiderait. En fait, les glaciers ont commencé à décroître depuis le début du XIXe. Et, vers 1970, beaucoup s'étaient stabilisés. Et certains avancent en Scandinavie. Al Gore, dans son film, montre des glaciers s'écroulant. Mais qu'est-ce qui a coulé le " Titanic ", si ce n'est un glacier s'étant écroulé. En général, on fait tirer des larmes du public avec des chiffres en milliards : le milliard de tonnes de glaces s'étant écroulés dans les océans, les milliards de tonnes de CO2 rejetés par les avions, etc. Que veulent dire ces chiffres ? Il faut une base de comparaison. Savez-vous par exemple qu'il y a dans l'atmosphère 385.000 tonnes de CO2 par personne pour 6 milliards de personnes sur la Terre (rires) ?

Pourquoi toute la communauté scientifique aurait-elle intérêt à noircir le tableau ?

Toute la communauté scientifique ? L'isolement des sceptiques a été un mythe depuis 1988. Je pourrais nommer 70 ou 80 scientifiques de renom qui sont sur la même longueur d'onde que moi. On obtient des pétitions avec des milliers de signatures. Le public devrait réaliser que la science ne se caractérise pas par de tels consensus. Ce serait très mauvais signe.

Passons aux aspects politiques du réchauffement climatique...

Alors je ne suis plus dans mon domaine d'expertise. Je parle en tant que citoyen. Sauf sur un aspect : Kyoto ne sert à rien, tout le monde le sait. Le plus que Kyoto va faire sera de retarder un changement de température, petit ou grand, de un ou deux ans, peut-être trois, c'est tout. En plus, cela conduit à des dérives regrettables, de la corruption... on voit déjà que les dangers de cette politique sont plus grands que ceux du réchauffement.

Pensez-vous que nous devrions faire quelque chose pour parer un éventuel réchauffement ?

Oui, mais pas ce que nous faisons maintenant. Le climat va changer, quoi que nous fassions, même sans l'effet de serre dû aux hommes. Il faut se préparer. Et c'est la raison pour laquelle il faut augmenter la prospérité dans le monde. La prospérité fait que, lorsque vous avez un tremblement de terre à Los Angeles, personne ne meurt. Quand il s'en produit un à Téhéran, il y a des dizaines de milliers de victimes. Kyoto fait exactement l'inverse : il dit : " Nous devrions tous être plus pauvres. " Il nous fait perdre de vue les vraies priorités. Deux milliards de personnes n'ont pas encore l'électricité. C'est immoral.

N'a-t-on pas un devoir de prudence, surtout aux Etats-Unis, qui émettent un quart des gaz à effet de serre rejetés dans l'atmosphère alors qu'ils ne représentent que 5 % de la population mondiale ?

Dire " que va-t-il arriver à mes petits-enfants ? " est une question idiote. C'est plutôt pour s'être posé la question que nous passerons pour des imbéciles auprès d'eux. Est-ce que vous les imaginez se retourner vers notre époque et voir que nous nous sommes mis à délirer pour quelques dixièmes de degrés que personne ne pouvait sentir. Ce que nous faisons n'aura pas d'impact. Vous me dites : " Pourquoi ne pas commencer, pourquoi pas ne plus émettre de carbone, pourquoi pas se passer de pétrole ? " Mais si nous ne pouvons pas ? C'est fou. On ne peut même pas respecter Kyoto en Europe. Quels pays respectent ces règles ? De toutes les menaces contre le monde, le climat est en bas de l'échelle.

Etes-vous inquiet de vous retrouver dans vingt ans dans la situation d'avoir eu tort ?

La perspective que quelque chose de grave se produise dans les vingt ans à venir est éloignée. Le plus probable est que, dans les trente prochaines années, il y aura eu un refroidissement et la communauté scientifique dira : nous le savions dès le début. Les mêmes gens qui s'inquiétaient du refroidissement il y a trente ans, s'inquiètent maintenant du réchauffement.

PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS MADELAINE